Un jour, je pense que j'avais neufs ans, je me suis promenée dans une rue de notre quartier. Je ne pensais rien de précis et me sentais plutôt bien.
Subitement, j’eus l'impression que j'étais en train de mourir, que j'allais mourir là, tout de suite. Je n’eus pas le temps de réfléchir à ce qui m'arrivait car immédiatement après, j’eus la nette impression que je venais de renaître. Et à ce moment-là, je compris que j'étais en train de mourir et de renaître sans arrêt dans un cycle éternel. J'avais vaguement le sentiment que ce cycle était inscrit dans mon corps. J'ai réalisé que ce phénomène se déroulait continuellement et si rapidement que personne hormis moi ne pouvait s'en apercevoir. Au même instant j'étais submergée par une grande tristesse. Je voulais expliquer à mes parents que j'étais entrain de mourir. Ils avaient le droit de savoir quand même. Il fallait qu'ils sachent que le processus s'était déjà déclenché en moi. Mais je savais aussi qu'ils n'allaient pas comprendre que tout cela n'était pas grave puisque je renaissais après chaque mort. Et que cela se passera jusqu'à mon ultime mort. Non, je ne pouvais pas le leur dire, alors je me suis tue. Au moment où je suis devenue consciente de ces forces de la mort, la vie de la pensée s'est réveillée de plus en plus fort en moi.
Pendant ma tendre enfance, j'avais du mal à vivre dans mon corps, comme si un élément me manquait et que j'allais suffoquer. Ceci n'était pas pensé mais ressenti de façon obscure. Je vivais souvent un temps distendu, dans un « autre monde ». Des heures, peut-être des minutes ou des secondes s'écoulaient, qui sait, car le temps m'était étranger. Je ne fermais pas les yeux. Je ne créais pas ce monde consciemment. Ces moments surgissaient tout naturellement, à n'importe quel moment. Par moment, dans mon imagination, une immense mer m’enveloppait, immense mais intime. J'y nageais comme un poisson heureux. Cette atmosphère aquatique était impénétrable par le soleil aveuglant et impitoyable que je savais quelque part là-haut. Des lueurs douces et subtiles d'indigo, de bleu marine et de turquoise pénétraient cette ambiance nébuleuse et énigmatique par vagues successives. Je distinguais de temps à autre une couleur sans forme précise. Je descendais au plus profond de cette mer pour explorer des cavernes sombres et mystérieuses, découvrant des créatures embryogéniques mi plante mi poisson et étranges... des coquillages, des exosquelettes, et toutes sortes de formes tout en rondeur. Je me sentais chez moi, en sécurité dans un océan de vie baignée d'une lumière transcendante d'amour et de chaleur.